Caramel ou le mythe de Mami Wata

Article : Caramel ou le mythe de Mami Wata
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20 février 2023

Caramel ou le mythe de Mami Wata

Connu du grand public comme étant « le film-testament » du cinéaste ivoiro-guinéen Henri Duparc (1941-2006), Caramel s’inspire de la légende africaine de Mami Wata. Projeté dans plusieurs festivals internationaux, il dépeint une société ivoirienne au tournant des années 2000s. Entre traditions et respect des anciens, que pouvons-nous en dire aujourd’hui ?
Extrait tiré du film Caramel – Fondation Henri Duparc / 2005

Comprendre le film

M.Henri Duparc est entre autre le réalisateur de films comme Abusuan (1972), Rue princesse (1993) ou encore Bal Poussière (1989), dans lequel figurent de grands acteurs ivoiriens tels que Bakary Bamba, Hanny Tchelley-Etibou, Thérèse Taba ou encore Akissa Delta.

Cette dernière, célèbre actrice et productrice ivoirienne, réalisatrice de la série à succès Ma famille, interprète dans le film Caramel, le rôle de Tatiana. Mais qui est Tatiana ? Tatiana, mère célibataire de 2 enfants est la dépanneuse de Fred, célibataire et gérant d’une salle de cinéma.

Vous ne savez pas ce qu’est une dépanneuse ? Pas de problème. Une dépanneuse, c’est celle-là même qui sert à satisfaire le ventre et le bas ventre d’un homme, sans pour autant qu’il n’y ait une étiquette sur leur relation.

Tatiana (Akissa Delta), Caramel / Fondation Henri Duparc, 2005

« Une dépanneuse, c’est celle-là même qui sert à satisfaire le ventre et le bas ventre d’un homme sans qu’il n’y ait d’étiquette sur leur relation »

Cette situation contriste le cœur de Maria, sœur aînée de Fred, inquiète du fait qu’il ne pourrait peut-être pas pérenniser le nom de famille de leur père. Elle s’arrange donc à mettre sur son chemin des prétendantes qui selon elle, leur conviendrait à elle comme à lui. Mais sans succès, ces femmes bien que très entreprenantes, ne trouvent pas d’intérêt aux yeux de Fred. Tout porte donc à croire que Fred est trop endurci dans son célibat pour ouvrir son cœur, jusqu’au jour où il fait la rencontre de Caramel. 

Caramel est une jeune femme au sujet de laquelle peu de choses sont dévoilées, si ce n’est qu’elle est âgée de 25 ans et qu’elle exerce dans la restauration. 

Le cinéma africain aux africains : la matérialisation de ce « dogme » dans le film Caramel

Ayant passé la moitié de mon enfance en Côte d’ivoire, je me souviens que chaque dimanche, était diffusée la série à succès ma famille mentionnée plus haut. Elle relatait le quotidien des familles ivoiriennes entre amitiés, infidélités notoires des hommes, rivalités et polygamie cachée. 

On avait également des séries comme « faut pas fâcher » ou encore « qui fais ça », deux séries télévisées qui utilisaient la satire afin de dénoncer des faits de sociétés tels que le tribalisme, la corruption ou même la sorcellerie. Plus tard, on a eu l’avènement de série plutôt dédiée à la jeunesse telle que Class’A.

Caramel, Fondation Henri Duparc / 2005

Cependant, pour ce qui est de longs métrages, je ne me souviens pas à mon époque en tout cas, en avoir vu qui avaient notre identité ou même nos traditions et qui pouvaient avoir vocation à être exporter à l’international.  Lorsque je parle de « traditions », je n’entends pas par là, un cinéma qui ne parlerait que de mysticisme avec des effets spéciaux à l’instar du cinéma Nollywoodien du début des années 2000s.

« Je ne me souviens pas avoir vu des séries ou des films exporter nos traditions à l’international. »

Et cela, Henri Duparc l’avait déjà compris. En 1991, il disait qu’« il n’était nullement question de faire un cinéma qui soit une simple recopie du style américain ou européen. Il s’agissait de créer un cinéma ayant son originalité, son identité, et qui soit, comme aurait pu le dire Freud « un cinéma dé-traumatisé » de l’emprise viscérale qui veut que l’africain soit l’homme du fétichisme, du mysticisme ». L’on rappelle que le cinéaste lorsqu’il commence sa carrière a la volonté de « montrer le cinéma africain aux africains ». 

Lire aussi : Henri Duparc, le réalisateur qui fait des films pour les Africains

Dans Caramel, Henri Duparc va ainsi intégrer une histoire mystique dans un cinéma ivoirien moderne, ce qui fait de ce film, la quintessence même du cinéma identitaire ivoirien.

En effet, on retrouve le quotidien d’un trentenaire célibataire, de classe moyenne, vivant dans la capitale avec une sœur aînée qui s’est mise en tête qu’elle devait lui trouver une femme, 

Maria (Adrienne Koutouan), Caramel, Fondation Henri Duparc, 2005

Jusqu’à même aller à la rencontre de celle avec qui il partage certains moments intimes dans l’unique but de mettre un terme à cette histoire. 

Maria, la sœur de Fred ne manque pas l’église tous les dimanches. Comme bon nombres d’ivoiriens, la religion occupe une place centrale dans la vie, que l’on soit chrétiens ou musulmans. L’église nous y allons parce que nous croyons en Dieu, mais également pour « combattre les mauvais esprits » ou encore obtenir la protection que procurerait la prière. 

Malgré le franc succès du film, très peu savent qu’il est en réalité, une version moderne et ivoirienne de la légende de Mami Wata. 

Je précise ivoirienne, car cette divinité est également connue dans les Caraïbes ou encore en Amérique du Sud notamment dans la santería cubaine où on lui voue un culte sous le nom de Yemaya ou Yemanja. 

Henri Duparc décide alors de transposer la légende urbaine ivoirienne et une divinité africaine afin de nous offrir un chef d’œuvre cinématographique.

Le mythe de Mami Wata au service du film

Le personnage de Fred, ou la personnification de l’africain septique

Contrairement à sa grande soeur, Fred ne croit pas en l’existence de ces mauvais esprits. On peut penser qu’il s’agirait d’écart générationnel, pourtant, ses amis et collègues ne sont pas de cet avis. 

Fred (Ahmed Souaney), Caramel, Henri Duparc / 2005

De telle façon, que lors la révision d’un film relatant l’histoire d’un homme qui fait la rencontre d’une jeune femme décédée depuis bien longtemps et qui repart dans son monde avec lui, Fred reste très sceptique face à ce scénario et devient à la limite moqueur sur ce qui n’est pour lui qu’une histoire de village, qui ne se vendra pas. 

Cela est d’avantage parlant, lorsque l’on sait la fin tragique du personnage de Fred et le franc succès que recevra le film Caramel. 

En réalité, Fred représente cet africain qui se dit moderne sans prendre en compte une autre « réalité africaine » encore ancrée dans nos sociétés, et qui pense l’africain incapable de réaliser et exporter des films propres à son identité. 

Henri Duparc réussit donc son coup et fait d’une histoire de village un film à succès. Ce succès est également dû à l’utilisation du mythe de la Sirène. 

Lire aussi : Le mythe de Mami Wata

En effet, le fait pour une personne décédée, de revenir dans notre monde est une histoire connue en Afrique de l’ouest mais peu commune en dehors de nos pays africains et qui reste assez distincte du mythe que représente Mami Watta. Dans la légende, lorsqu’une personne décédée revient dans notre monde, il est de coutume qu’elle disparaisse une fois son secret révélé au grand jour. 

Par la juxtaposition de ces deux légendes, Henri Duparc sort du cliché des canaris et des marabouts et permet au film d’être exporté à l’international et compréhensible par tous. 

Les signes

Dans Caramel, Fred tout comme le spectateur, ne prête pas forcément attention aux détails annonçant mauvais présage. 

En effet, lors d’une banale conversation, les amis de Fred, le mettent en garde face au mythe de la Sirène, qui repart avec l’homme sur lequel elle a avait jeté son dévolu. On parle en Afrique de destins contrariés. C’est cela même le titre original du film: Caramel ou le destin contrarié. 

« Les amis de Fred, le mettent en garde face au mythe de la Sirène, qui repart avec l’homme sur lequel elle jette son dévolu. »

La forte attirance de Fred envers Caramel est inexplicable : lui-même homme sélectif, qui a pourtant l’embarras du choix, se retrouve à se donner pleinement à une femme qu’il connaît à peine, jusqu’à enchaîner trois rendez-vous consécutifs. 

L’un dans le restaurant où travaille Caramel où figure une petite affiche intitulée « La Sirène », l’autre dans un port de pêche. Le choix du réalisateur quant au lieu de ce second rendez-vous, tout comme de cette affiche à peine perceptible ne sont pas fortuits. Ils sont annonciateurs de l’inspiration même du film. 

Contre toute attente, la dernière rencontre n’a pas lieu. En effet, Caramel, n’honorera pas ce rendez-vous et ne donnera plus signe de vie. Chagriné, Fred décide de se rendre à des obsèques avec l’un de ses amis. Cet ami mentionne même à Fred que c’était le lieu idéal pour lui : il s’agirait en réalité d’un lieu où l’on peut facilement draguer les femmes éplorées et endeuillées.

Caramel, Fondation Henri Duparc / 2005

Une fois sur place, Fred s’ennuie et blague avec son ami qu’il n’apparaît nulle part une photo de la défunte. Finalement, il abandonne son ami et se rend dans son cinéma,comme pour s’évader à l’issue de cette soirée non honorée par la femme qu’il convoitait.

Après, avoir vu le film, on est tentés de se demander ce qui se serait passé, si Fred avait eu l’occasion d’attendre jusqu’à ce que soit disposé le portrait de la défunte.

La suite du présage

Ce sera pourtant le cas de sa sœur Maria, qui lorsqu’elle vit Caramel pour la première fois, eu comme un mauvais pressentiment, de telle sorte qu’elle avait décidé de se rendre à l’adresse que la jeune femme lui avait indiquée. 

En effet, lorsqu’il avait fini par se rendre dans son cinéma, après la soirée de deuil, Caramel l’y attendait. Elle racontait à Fred qu’elle n’avait pas pu honoré leur rendez-vous et s’excusa pour cela. 

Ce dernier décida donc de l’envoyer chez lui afin qu’elle connaisse son lieu d’habitation. 

Lorsque Maria se rendit chez Caramel, la maison était encore animée. Elle fit la rencontre de Lanciné, cousin de la jeune dame. Il lui expliqua qu’il était impossible que la jeune femme qu’elle disait avoir vu ce soir et qui était repartie avec son frère soit Caramel. 

Pendant ce temps, dans l’avant-cour de la maison, on pouvait entendre des chants religieux, lorsque Maria vit passée, la photo d’une jeune dame qui aurait été oubliée. Elle venait de comprendre alors que quelque chose de surnaturel était entrain de se produire. 

De Caramel, aux coups de la vie

Ce que j’ai particulièrement aimé dans le film, c’est que du haut de ses 18 ans d’âge, il relate une réalité encore bien ancrée en Côte d’Ivoire. Pour preuve, dans la série de nouvelles Les coups de la vie, de la journaliste et écrivaine Anzata Ouattara, on retrouve les témoignages de personnes ayant vécus des histoires similaires. Ces témoignages relatant des histoires vraies, on connut un tel succès, qu’ils sont aujourd’hui adaptés à la télévision dans la série à succès éponyme.

On peut donc dire que M.Duparc a réussi son coup, et que ce « genre » a influencé de manière consciente ou inconsciente des générations futures d’écrivains et cinéastes fiers de leur identité et de leurs histoires.

Lire aussi : Anzata Ouattara, nouvelle icône de la littérature ivoirienne

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Commentaires

_camy237
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Un article vraiment intéressant et captivant !!

leblogdeleily
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Merci ma chérie, ça me va droit au coeur